Il y a des moments dans la vie où tout s’écroule. Des relations qui prennent fin, des projets qui échouent, des repères qui volent en éclats. Et si, derrière ces chutes, il y avait un mouvement plus profond à l’œuvre ? Une forme de renaissance silencieuse ? Cet article explore comment la destruction apparente peut ouvrir un chemin de transformation intérieure.
Quand la vie nous détruit… pour mieux nous construire
Un jour, une thérapeute m’a dit :
« Pour en arriver là où j’en suis, à pouvoir accompagner les autres…
la vie m’a détruite. »
Cette phrase m’a percutée. Elle s’est inscrite en moi comme une énigme à décoder :
Comment la destruction peut-elle coexister avec la construction ?
Et surtout, que signifie vraiment cette sensation d’avoir été « détruit » par la vie ?
Deux volontés en nous : la personnalité et l’âme
Issa Padovani parle de deux types de volonté :
– celle de la personnalité, forgée par nos expériences, nos peurs, nos désirs de reconnaissance, de sécurité,
– et celle de notre partie supérieure, notre âme, qui aurait choisi en amont certaines expériences à traverser ici-bas.
Alors… quand on parle d’avoir été « détruit », laquelle de ces volontés est touchée ?
L’âme peut-elle vraiment être détruite ? Ou est-ce simplement notre personnalité – cette part façonnée par le monde – qui s’effondre ?

Qui en nous rêve ? Et pourquoi ces rêves brisés ?
Nous naissons tous avec des rêves. Certains les réalisent. D’autres les voient s’effondrer un à un. Et pour la majorité d’entre nous, c’est un mélange des deux.
Quelle différence y a-t-il entre ces deux types de rêves ? Est-ce vraiment comme les coachs, et certains maîtres spirituels le disent une histoire de volonté ? Nos pensées créent-elles réellement le monde dans lequel on vit ? A-t-on les pleins pouvoirs sur notre réalité ? Et si tel était le cas, alors comment pourrait-on avoir des humains affirmant avoir mené une vie "brisée" ? Par manque de volonté ?
Mais qui en nous rêve ? Est-ce la volonté de notre âme, ou celle notre personnalité ?
Et que se passe-t-il quand on se rend compte que le rêve que l’on poursuivait… ne nous correspondait pas vraiment ?
De l’élan naturel… à la sur-adaptation
Petits, nos rêves jaillissent spontanément.
"Il y avait tant de projets que j'ai laissé en l'air" nous disait Charles (Aznavour) dans sa chanson. Qui en nous imagine ses projets ? Dans quel but ?
Être psychologue pour animaux, maîtresse d’école, inventeur fou ou jardinier de nuages…
Ils naissent dans un espace encore peu contaminé par les attentes extérieures.
Mais en grandissant, la réalité sociale s’invite avec ses besoins d'appartenance, d'accomplissement, de contribution, d'être aimé qui passent par :
– ce que les autres trouvent raisonnable,
– ce qui assure un revenu stable,
– ce que notre famille valide,
- ce dont le monde a besoin.
Et pour nourrir ces besoins, la stratégie que l'on emploie est figée, comme si aucune autre réalité que celle engagée depuis un certain nombre d'efforts, n'était pas modifiable, alors on s’adapte. Et cette adaptation continue nous amène à nous contorsionner tellement pour rendre ces choix viables, la volonté de la personnalité fonctionne à plein régime, et sans s'en apercevoir, cette sur-adaptation nous coûte plus qu'elle nous nourrie. Et alors vient un moment, celui de l'effondrement.
L’effondrement : le signal d’un trop grand écart
Dans mon parcours, j’en ai connu, les plus connus justement : travail, couple, logement.
J’étais « alignée » en apparence… mais en réalité, je servais les besoins extérieurs avant les miens : comment performer dans mon métier, gagner le respect de mes pairs, satisfaire le directeur de mon association, rendre mes parents fiers, avoir un couple heureux...
Une question cependant n'est jamais venue trop perturber ce fragile équilibre pro/perso : est-ce que je veux vraiment vivre cela ? Est-ce un vrai oui ou un faux non ?
Parfois, l’effondrement n’est pas une erreur. C’est juste le moment où une part trop souvent ignorée nous hurle STOP.
C'est là que le duel entre la volonté de la personnalité (acquise, adaptée à son environnement, à des croyances, à nos conditionnements, nourrie de sécurité exacerbée) et la volonté de l'âme (celle qui ressent quand ce qu'on vit est juste, nous nourris, éclaire nos choix à mesure de synchronicité, de légèreté dans ces occurrences quasi magiques, nous rend le visage souriant et radieux) commence.
C'est un duel pour lequel chacun a différents atouts pour le cadrer.
Oui, nous sommes bien inégaux face à ce duel, mais chacun d'entre nous sur cette planète aura à le rencontrer tôt ou tard dans une forme qui lui est propre.

Le conflit intérieur : quand les parts s’affrontent
À l’intérieur de nous, plusieurs voix cohabitent. Celle qui dit : « Tu ne peux pas lâcher maintenant » et celle qui murmure : « Cet endroit ne te fait plus de bien. »
Notre personnalité a ses raisons. Mais parfois, elle prend toute la place… et empêche notre volonté profonde, dite supérieure, de s’exprimer. Pour peu que notre mental analytique se mette à énumérer tout un tas d'arguments, chacun plus brillant que les autres, et le conflit intérieur entre la voix conditionnée et la voix supérieure. Ce qui m'a aidé, c'était de leur donner une forme, comme des personnages.
Et pour ma part au début, la voix conditionnée avait l'allure d'un juge vêtu de noir très grand et filiforme avec un ton péremptoire digne d'un Inquisiteur. Autant dire que celui là, ça n'a pas été facile de l'apprivoiser !!! Surtout que ma voix supérieure, longtemps mise au loin, elle, avait l'allure d'une petite mamie toute douce et tellement aimante, mais encore pas assez confiante pour rétablir le rapport de force intérieur.
Et ça m'a demandé de la patience et de la douceur. Au début quand je demandais à ma petite mamie intérieure d'aller faire un câlin à son noir Inquisiteur, elle s'effondrait en larme et partait loin, très loin. La sécurité intérieure n'était pas installée, le rapport des force déséquilibré.
Une démocratie intérieure : faire dialoguer nos parts
Sortir du rapport de force, permettre un espace d'écoute de chacune, c’est possible.
Mais cela demande d’apprendre à écouter toutes nos parts, sans en juger aucune.
C’est là que des outils comme la Communication NonViolente (CNV) deviennent précieux.
Ils permettent de créer un espace intérieur où chaque voix peut exister sans être écrasée.
Et alors, le festival des arguments intérieurs de la personnalité qui résiste à tous prix, se déchaîne :
👉 "Mais tu peux pas tout lâcher maintenant, tu te rends compte, de tous les efforts qu'on a mis pour construire tout ça ???"
👉 "Ah tu veux tout lâcher mais la persévérance dans tout ça? On est pas lâche nous, on va s'accrocher jusqu'au bout."
👉 "Mais que va-t-on penser de toi si tu renonces à cela ? Tu te rends compte, tu as un statut social, une réputation, les gens comptent sur toi".
👉 "Qu'est-ce que tu proposes à la place ? C'est beaucoup moins glorieux que ce qu'on a construit, je ne peux pas t'autoriser à tout détruire comme ça sur un caprice".
C'est dur à entendre.
Alors, on respire. Profondément. On accueille si on peut. On voit si aujourd'hui on a l'espace. On intègre, on permet l'espace à ces voix d'exister. Juste ça.
On saute pas dessus en contre argumentant tout de suite, parce que ça ne va pas aider. La voix qui se déchaîne et hurle ne pourra se détendre que si elle sent qu'il y a quelque part, un endroit où elle a totalement le droit de se déposer. Et là, si on sent le relâchement, souvent dans le corps physique qui se détend, là, on peut entrer en dialogue, et là, la démocratie intérieure devient possible. Avant, ce n'est qu'un rapport de force, un ping pong mental, un exercice d'agilité intellectuelle, mais le ressenti, le corps physique est laissé de côté, donc la transformation intérieure ne peut se faire. Et ça demande du temps, et de la pratique, et c'est tout à fait naturel, la transformation est naturelle.
Je parle de démocratie intérieure car toutes les parts (ici deux mis en évidence, mais beaucoup sont présentes, chacune défendant un besoin important) sont réunies au siège de notre conscience. A cette table, ces parties doivent sentir que la présence qui préside et qui va intervenir sera pour protéger les intérêts de l'ensemble. Que la table est un espace garant d'accueil et d'écoute de chacun, que ce soit des parties douces, vulnérables, fragiles avec une voix qui s'entend à peine et parfois même pas de voix du tout (comme le corps physique au début si on n'a perdu l'habitude de l'intégrer dans nos choix), assise à côté de parties bruyantes, même violentes de peur / terreur, ou de colère / jalousie qui elles vont assumer des formes et des couleurs, qui prendront toute la place.
Bref, finalement que toute cette vie à l'intérieur de nous s'assied ensemble dans un régime démocratique : chacune est libre de partager son point de vue, avec une présidence supérieure garante d'une harmonie globale, pré-requis à une paix et un amour intérieur palpable.
A cette table va s'orchestrer notre vie. Où va-t-on aller, avec qui, pourquoi faire ?
A quel rêve, projet va-t-on consacrer du temps ?
Qu'est-ce qu'on va choisir de perdre, de quitter ?
Même aligné… tout peut quand même s’arrêter
Même quand tout semble juste, parfois… la relation se termine.
Le projet s’arrête. La santé flanche.
Un étiothérapeute m’a dit un jour :
« Vous vous êtes rendu compte que même si on faisait tout bien, la relation pouvait quand même se terminer. »
Cette phrase m’a réveillée. Parce que la vie, par essence, est impermanente.
C'est elle (la vie) qui gouverne à la table à la toute fin. Un rêve aura une temporalité, un début, une fin. Un désir va s'explorer, puis s'évanouir, en laissant d'autres arriver.
La vie et la mort entretiennent cette relation d'amour de sorte que tout ce que la vie crée, elle l'offre en cadeau à la mort qui va le reprendre.

Quand la personnalité pleure, l’âme grandit
La personnalité veut garder. Elle veut réussir. Elle veut comprendre. Elle croit dure comme fer à la dimension de l'effort "si je donne tout alors je vais réussir".
Mais là, on lui fait comprendre que non, ce n'est pas elle qui aura le dernier mot, mais l’âme, qui elle, sait. Elle traverse.
Elle grandit à travers les pertes, les silences, les recommencements.
Et peut-être que ce qu’on croyait être une destruction… n’était en réalité qu’un passage. Une mue. Une re-naissance. Et cela peut être également un soulagement pour la personnalité, pour cette part qui a tant porté par les efforts pendant si longtemps. Elle va pouvoir (même si elle n'aime pas du tout ça au début) se reposer, et réaliser avec soulagement que quelque chose de plus grand régit, que notre contribution est infime (et importante) et que je peux me laisser porter par cette force naturelle de vie qui m'habite car elle, elle sait.
Une présence qui sait
La vie détruite, c'est la perception de notre personnalité, de notre dimension qui fournit tellement d'effort pour atteindre un objectif, chercher à l'extérieur la réponse, se remplir d'affection, résoudre un problème, poursuivre un désir pensant qu'il va la compléter enfin.
La vie construite et détruite, c'est la perception bien plus vaste de notre âme, qui sait qu'elle initiera à sa table des projets qui vont mourir, des rêves qui ne vont pas aboutir, des relations qui vont se terminer, des emplois qui changent, des personnes chères s'en aller, des maladies nous ralentir.
A chaque destruction, elle se rapprochera d'elle même, à chaque construction, elle forgera l'assurance de continuer à avancer dans sa direction propre.
Il y a en nous une présence plus vaste, qui ne cherche pas à tout comprendre, mais qui EST, simplement.
Et à chaque pas, quelque chose d'elle même ne sera jamais altéré, blessé, atteint, meurtri, parce que ce quelque chose la régit, et c'est cette impulsion de vie initiale qui voulait éprouver toute cette construction / destruction, pour apprendre, évoluer, ou juste le vivre, par curiosité.
J'honore cette présence lumineuse en moi et en chacun pour savoir sans chercher, pour être sans faire, pour vibrer sans le vouloir.
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